Préface Dorothea de la Houssaye

Le temps retrouvé, l’émotion partagée
Par Denis de Kergorlay

 

On peut aimer aller dans les plus beaux palaces du Monde, on n’y retrouvera jamais l’atmosphére délicate et raffinée, sensible et poétique de nos vieux châteaux de famille. Ils sont l’anti « Bling Bling ». Pas d’épate, pas de luxe tapageur ou ostecouleurs du temps jadis.
Plus que le confort, le voyageur qui pose ses valises dans nos vieilles demeures vient chercher le rêve. Il veut quitter pendant quelques temps le monde de la fonctionnalité, trop banalisé, pour entrer dans des lieux dont la magie essentielle est d’être hors du temps.

 

Dorothéa de la Houssaye a incontestablement réussi la résurrection du château de l’Isle-Marie. Comme toutes nos vieilles demeures, ce château avait connu ses heures de faste et de gloire, puis ses heures de décrépitude. Le vieux château décati de sa belle famille attendait sa fée du logis.
Cette belle femme du nord va y apporter sa fougue, sa ténacité, son talent de décoratrice inspirée. Le château a retrouvé une maitresse femme comme maitresse de maison. Le voici désormais comme ressurgi d’un monde englouti.

 

Les vieux greniers, ultimes refuges des araignées et des chauves-souris, « squatters » multiséculaires de nos vieilles demeures, restent les dépositaires des objets du temps jadis non encore « retapés » et « recyclés ».
Les piéces où l’on vit regorgent elles aussi de meubles, vive les priviléges dés lors qu’ils deviennent accessibles au commun des mortels; du moins à ceux qui en rêvent!
Ce sont les détails qui font la différence: A la fenêtre une superbe crémone en fer forgé comme il n’en existe que dans les vieux châteaux; Aux murs des boiseries finement ouvragées par des artisans qui ne fabriquaient pas à la chaine, puis, nous regardant, de belles dames du temps jadis au regard clair et habillées d’étoffes colorées et raffinées, bien évidemment.

 

Enfin, le luxe de s’asseoir dans de beaux fauteuils retapissés avec soin par la maitresse de maison, s’endormir le soir dans son lit à baldaquin grâce auquel on va se rêver plus aristocrate que jamais, et puis évidemment prendre un bon bain dans la baignoire vieillotte qu’avait justement Bonne-Maman dans sa salle de bain !
Mais je voudrais faire une mention particuliére pour les plaisirs de la table†: un coup d’oeil d’abord sur ses nappes et sa vaisselle d’antan. L’attention délicate de la maitresse de maison qui n’oublie jamais le bouquet de fleurs du jardin. Le feu bien sùr qui crépite dans la cheminée et lance ses reflets sur la vieille plaque de fonte ornée comme il se doit des armes de la famille !
Ce soir les chandelles vont chatoyer le teint de nos belles compagnes.

 

Mais outre ce décor enchanteur, la table elle-même, si caractéristique de nos demeures ancestrales : Certes elle n’a pas la prétention de rivaliser avec celle de nos grandes toques étoilées – encore qu’il n’est pas interdit de s’en inspirer – mais comme elle nous rappelle les repas de famille chez Bonne-Maman, quand nous étions petits†!
Les mêmes légumes et fruits du jardin cueillis ce jour dans le jardin potager, déposés à la cuisine dans les mêmes corbeilles que jadis et servis dans la vieille vaisselle de famille.

 

Ajouter à cela les parfums si révélateurs des maisons d’autrefois qui ont traversé les siécles, l’omniprésence des jardins, de leurs arbres centenaires et de leurs parterres bien léchés.
Oui définitivement, séjourner à l’Isle-Marie revenu à la vie sous la houlette (comme une baguette magique, mais avec tant de travail acharné en plus !) de Dorothéa, c’est s’immerger dans un rêve, celui qui nous relie par l’imaginaire aux hommes et femmes qui nous ont précédé, qui ont aimé ce lieu et l’ont inspiré, – qui l’habitent peut être encore de maniére invisible – et c’est bien tout cela qui contribue à ce sentiment de bien-être et de plénitude qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
Sauf peut être dans le prochain château de famille que l’on visitera aprés notre séjour à l’Isle-Marie, à condition qu’il ait lui aussi trouvé sa fée du logis qui, comme Dorothéa, a su lui redonner toutes les saveurs d’antan avec le luxe discret de la vraie aristocratie : celle qui aime ses priviléges car elle est heureuse de les partager avec ses hôtes !

 

Denis de Kergorlay
Château de Canisy